Réflexion sur la réforme des retraites

La dénonciation rituelle des « profiteurs du système » est une façon commode de ne pas trop s’interroger sur la validité du modèle actuellement en vigueur, qui consiste à se former jusqu’à 20-25 ans, à travailler de façon continue pendant une quarantaine d’années, puis à rester inactif jusqu’à la fin de ses jours. Contestable dans son principe, puisqu’il revient à faire peser sur les jeunes actifs la charge toujours plus lourde des retraites – étrange conception de la solidarité inter-générationnelle ! – un tel schéma est de toute façon devenu caduc, du fait de la persistance du chômage et de la précarité. Etant donné les difficultés croissantes pour intégrer le marché du travail et le caractère de plus en plus discontinu des trajectoires professionnelles, rares sont les actifs aujourd’hui qui pourront toucher les dividendes de ce système par répartition. En revanche, ils sont d’ores et déjà sûrs d’en payer le prix fort en terme de cotisations. D’où le sentiment d’un marché de dupes et la conviction chez certains qu’il n’y a plus aucun intérêt rationnel à fonctionner à l’intérieur d’un tel cadre.

Le système par capitalisation serait-il la panacée ? Il suffit de regarder l’exemple britannique pour se convaincre du contraire. Victimes de l’explosion de la bulle financière au début des années 2000, les fonds de pension privés, auxquels plusieurs dizaines de milliers de salariés avaient confié leur épargne pour financer leurs retraites complémentaires, accusent aujourd’hui un déficit de plus de 150 milliards de livres et se révèlent incapables d’honorer leurs engagements.

La solution ne passe-t-elle pas plutôt par la mise en œuvre de nouveaux dispositifs, permettant à chacun de répartir librement ses périodes d’inactivité tout au long de la vie, au lieu de les concentrer en fin d’existence ? Au-delà des sempiternels débats comptables sur les moyens de sauver le régime de retraite par répartition, le véritable enjeu n’est-il pas de dépasser le clivage entre inactivité subie (chômage) et inactivité conquise (retraite), en créant les conditions d’un autre rapport au temps libre ?

Radiation, P 95-96