Sisyphe président ?

Dans ses Sophismes économiques, le très libéral Frédéric Bastiat illustre mieux que quiconque l’aporie du discours sur la valeur-travail. Son texte intitulé La main droite et la main gauche, publié en 1848, pousse la logique travailliste jusqu’à l’absurde pour mieux en dénoncer les prémisses. Le principe de base est simple : Toute richesse provient de l’intensité du travail. D’où le syllogisme : Plus on travaille, plus on est riche. Plus on a de difficultés à vaincre, plus on travaille. Donc plus on a de difficultés à vaincre, plus on est riche. En conséquence, « nous décréterons, par exemple, qu’il ne sera plus permis de travailler qu’avec le pied. » Cette sophistique de la valeur-travail « consiste en ceci : Juger de l’utilité du travail par sa durée et son intensité, et non par ses résultats ; ce qui conduit à cette police économique : Réduire les résultats du travail dans le but d’en augmenter la durée et l’intensité. »

Telle est bien la logique qui prévaut aujourd’hui, comme en témoignent la multiplication des emplois aidés qui nous ramènent au bon vieux temps des ateliers nationaux, ou bien les revendications visant à imposer aux entreprises bénéficiaires le maintien d’emplois superflus, ou encore le retour en vogue de certains mouvements technophobes appelant à la destruction des machines pour préserver l’emploi des ouvriers. Cette idéologie, qui valorise l’effort au détriment du résultat et qui tend à nous « replacer sous la couche d’eau pour nous fournir l’occasion de pomper », Bastiat la fustige sous le terme éloquent de « sisyphisme ». Au nom de la lutte contre le chômage, tous les responsables politiques sacrifient désormais à ce nouveau culte - y compris les pseudo-libéraux qui militent pour le rétablissement du travail forcé sous la forme du workfare. « Il faut imaginer Sisyphe heureux », affirma jadis un bel esprit. On se gardera bien de le suivre sur ce terrain...

Extrait de Radiation, P 70-71