Radiation : note d'intention

Avec la mondialisation, la financiarisation de l’économie et l’avènement de la société post-industrielle, le rapport au travail a considérablement évolué au cours des vingt dernières années. Le marché de l’emploi, qui apparaissait jadis comme un continent stable, s’est disloqué, « archipélisé », pour laisser place à des trajectoires professionnelles de plus en plus atomisées, instables, discontinues. Ce processus, communément perçu comme un délitement, donne lieu aujourd’hui à trois types de discours :
- Nostalgique, visant à restaurer l’ordre ancien hérité des trente glorieuses et à préserver coûte que coûte un modèle social financé par l’emploi stable, continu et à temps plein.
- Clinique, auscultant les dommages causés par cette désagrégation – sous la forme du roman (« Extension du domaine de la lutte », « Marge brute », etc.) ou de l’essai sociologique (« La France invisible », « 7 millions de travailleurs pauvres », « La dérive des classes moyennes »...).
- Fataliste, prônant avant tout « l’adaptabilité », conformément à l’idéologie managériale en vogue.

Dans tous les cas de figure, le chômage est appréhendé comme le résultat d’une évolution économique – qu’il s’agit au choix de contrecarrer, de réguler ou d’épouser au plus près -, et non comme une construction politique – dont il importe de reconsidérer les fondements et la finalité. Comme l’ont montré les débats lors de la récente campagne présidentielle, cette évacuation du politique se traduit par des postures oscillant entre mesures gestionnaires (censées relancer la croissance et la création d’emplois) et incantations moralisatrices (exaltant la valeur travail, l’effort, etc.) - sans qu’émerge la moindre analyse de la mutation en cours. Il suffit de relire la Lettre à tous les Français de Mitterrand pour mesurer à quel point le diagnostic sur la société n’a guère évolué depuis 1988. Tout se passe comme si les traditionnelles grilles de lecture – idéologiques, théoriques, politiques – n’avaient plus aucune prise sur le monde réel et contribuaient en dernière instance à légitimer des discours strictement fictionnels.

A l’inverse, le recours à la fiction peut être envisagé comme un moyen privilégié d’appréhender la réalité dans sa complexité – à condition d’échapper aux poncifs du roman engagé ou du roman sociologique. Il s’agit plutôt pour le romancier d’opérer une sorte de radiographie du réel – le matériau fictionnel faisant office de révélateur. Dans le cas de Radiation, chaque scène correspond à une situation vécue, mais racontée à travers un personnage fictif qui en déplace la perspective. Le romancier se contente de recueillir l’image ainsi produite et de l’analyser selon son propre point de vue. Libre ensuite au lecteur de partager ou non l’optique défendue dans l’ouvrage…