Interview Chronicart

Interview électronique accordé à Cyril de Graeve, rédacteur en chef de Chronic'art.
1- Que vous inspire le quinquennat Sarkozy ? Et quel pourrait être le sentiment de Frank Valberg ?
Je ne sais pas le sentiment de Frank Valberg, qui se définit comme un « réfractaire, mal vu à droite, mal vu à gauche, vomi par le centre, étranger aux marges »… Pour ma part, le déroulement de la campagne électorale et le résultat final me renvoient l’image d’un pays sclérosé, replié sur lui-même, crispé sur son identité nationale, qui préfère ressasser son passé (« liquider l’héritage de mai 68 ») et se réfugier dans l’incantation moralisatrice (restaurer la valeur travail, l’autorité, l’ordre, etc.), au lieu de se projeter dans l’avenir pour affronter les vrais enjeux (mondialisation, construction européenne, mutation post-industrielle, etc.).
2- Avez-vous le sentiment que ce que vous avez à dire doit nécessairement passer par l'écriture de roman ? Pas forcément. La pratique littéraire ne me semble plus liée à un support particulier (le livre) ni à un genre privilégié (le roman). Elle prend aujourd’hui des formes de plus en plus hybrides, intégrant les apports d’autres champs artistiques – cinématographiques, multimédia, arts plastiques, etc. Radiation ne se présente d’ailleurs pas comme un roman, mais comme une docu-fiction, à mi-chemin entre la fable et le pamphlet. Et Le Décodeur, bien qu’estampillé roman, relève plus de la construction hypertextuelle que du roman conventionnel.
3- Vous considérez-vous aujourd'hui comme un écrivain ? Si oui, qu'est-ce que cela signifie pour vous ? Si non, pour quelle(s) raison(s) n'en seriez-vous pas un ? Réponse dans Radiation (P38-39) : Monsieur Valberg se prendrait-il pour un artiste ? Surtout pas ! « J’ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. - Quel siècle à mains ! » Dixit Rimbaud. L’artiste aujourd’hui, même s’il clame haut et fort son hostilité à la marchandisation du monde, est devenu une figure emblématique du nouvel esprit du capitalisme. A la fois modèle d’accomplissement personnel et créateur de valeurs au même titre que n’importe quel chef d’entreprise, il incarne mieux que quiconque le fantasme ultime de l’économie dématérialisée : transformer le plomb du réel en or par la seule magie de sa signature. A la question : « Vous sentez-vous l’âme d’un artiste » ?, on préférera donc répondre par la négative, en s’inspirant de l’exemple de Monsieur Teste : « Un des dadas de Monsieur Teste – et non le moins chimérique – fut de vouloir conserver l’art – Ars –– tout en exterminant les illusions d’artiste et d’auteur. »
4- Nous avions évoqué rapidement lors de notre rencontre la mouvance Bégaudeau et la volonté de l'auteur de réhabiliter le "roman engagé". Radiation, dans un sens, n'est-il pas justement un roman engagé ? La littérature doit-elle être engagée ? Le retour en vogue du « roman engagé » s’inscrit dans une tendance générale visant à restaurer les anciennes postures idéologiques et à revenir à la bonne vieille pensée binaire. Radiation est une fable politique, mais pas un roman engagé dans la mesure où il refuse d’envisager la question du chômage à travers les oppositions classiques – inclus/exclus, dominants/dominés, etc. Il s’agit avant tout de susciter une réflexion critique sur les présupposés moraux et philosophiques qui fondent notre rapport au travail. De façon générale, la littérature ne me semble pas avoir vocation à être engagée. Face à une réalité de plus en plus complexe et difficile à appréhender, l’enjeu est avant tout de faire émerger de nouvelles grilles de lecture – et non de produire des fictions ou des récits qui corroborent les anciens modèles.
5- Nous n'avons pas parlé du cas Jonathan Littell, dont le succès à la rentrée dernière, pourrait bien, semble-t-il, bouleverser le paysage littéraire français ? Comment avez-vous perçu ce succès inédit d'un écrivain dont c'était le premier roman et qui n'a fait aucune apparition dans les média ? Je n’ai pas lu l’ouvrage de Littell. Il m’est donc difficile de répondre. Mais je ne crois pas que le phénomène des Bienveillantes bouscule ou renouvelle grand chose. Il est juste le signe que sur un marché saturé et de plus en plus formaté, la pratique du hors-jeu est la meilleure façon de rafler la mise. Pour le reste, je souscris volontiers à l’analyse de Nabe...
6- L'écrivain, pour exister, doit-il disparaître ? L’attitude de retrait est une posture publicitaire parmi d’autres. Je préfère la stratégie formulée par l’écrivain romantique allemand Jean Paul : « Dans le domaine du pur savoir, la discrète manifestation de l’auteur, tout autant que sa dissimulation dans l’art, témoigne souvent d’un pouvoir supérieur. »
7- Nous avons rencontré Frédéric Beigbeder, dont le nouveau roman paraît en juin et non pas en septembre, qui dit vouloir abandonner toutes activités annexes à l'écriture pour se consacrer à son statut d'écrivain... Que vous inspire cette nouvelle posture de la part d'un personnage public comme lui ? Il ne suffit pas de faire vœu d’abstinence télévisuelle pour se refaire une virginité littéraire…